La défaite 4-0 du FC Barcelone face au Bayern de Munich en demi-finale aller de C1 a fait ressortir l’éternel débat. Faut-il ou ne faut-il pas offrir aux arbitres l’assistance vidéo pour les aider dans leurs prises de décision ? Depuis plus de dix ans, cette question a été posée à tous les experts de France et de Navarre et les réponses sont toujours les mêmes.
L’arbitrage vidéo : une évidence ?
D’un côté, les pro-vidéo affirment que les règles sont faites pour être respectées. Que l’équité doit être de rigueur afin que le mérite sportif triomphe. Que l’assistance vidéo serait une preuve de considération à l’égard d’arbitres vilipendés pour leurs erreurs par des supporters et des journalistes intransigeants. De l’autre, les anti-vidéo avancent des arguments statistiques. Ils reconnaissent des injustices mais affirment qu’elles s’équilibrent sur l’ensemble d’une saison, et que l’arbitrage reste donc équitable. Ils sont en outre convaincus que l’arbitrage vidéo couterait bien trop cher à installer dans tous les stades.
A chaque débat télévisé, tout le monde est généralement d’accord pour dire que « l’arbitrage pose problème ». Pire. A chaque fois, le débat commence à peine que sa conclusion semble entendue : les défenseurs de l’arbitrage traditionnel mèneraient un combat d’arrière-garde et seraient juste de vieux réactionnaires. Aussi, l’excuse de Platini sur le coût de son installation serait une vaste blague. Attaque standard contre l’UEFA, dernier bastion des anti-vidéo, et son président réac’. Et d’ailleurs, c’est terrible, mais les pro-vidéo ont tout à fait raison. Les arguments anti-vidéo sont faiblards, pour ne pas dire farfelus. « L’argument statistique » n’a en effet aucun sens. Défendre l’équité d’une saison de football au détriment de l’équité d’un match est complètement stupide. De même que personne ne peut croire au fait que le football, sport le plus populaire au monde, et donc brassant des milliards d’euros tous les ans, n’a pas les moyens de se payer quelques caméras alors que le Top 14 de rugby se l’autorise…
Les anti-vidéo sont les fossoyeurs de l’arbitrage traditionnel
Le véritable problème des anti-vidéo est qu’ils ne disent pas vraiment ce qu’ils ont sur le coeur. Platini se fiche des statistiques, comme il se fiche royalement du coût supposément « exorbitant » de l’arbitrage. Pour défendre sa paroisse, il possède dans sa manche une carte bien plus puissante et dévastatrice sur le plan intellectuel. Le problème est qu’il n’ose pas la dévoiler en raison de sa nature politiquement incorrecte. Réélection oblige.
En effet, ce que les anti-vidéo ne disent pas lorsqu’ils prennent la défense de l’arbitrage traditionnel, c’est qu’ils aiment l’injustice dans le football… Ils aiment crier de joie lorsqu’un but de leur équipe a été accordé alors qu’il y avait hors-jeu. Ils aiment se congratuler lorsqu’un de leur joueur se sert de l’adversaire comme d’un ascenseur pour aller claquer une tête dans le petit filet. Ils aiment hurler contre l’adversaire qui s’est laissé tomber dans la surface et a obtenu un pénalty. Ils aiment voir Suarez mordre Ivanovic, ne pas se faire expulser, et marquer le but égalisateur dans les arrêts de jeu. Ils aiment la fourberie du bon défenseur qui, sur coup de pied arrêté, agrippe discrètement le slip de l’avant-centre adverse. Ils aiment faire preuve de mauvaise foi sur un high-kick à la Nigel De Jong qui méritait objectivement un rouge. Et surtout, ils aiment pouvoir aller au bistrot entre potes les lendemains de match litigieux et s’étriper tout en s’enfilant des bières.
En somme, les anti-vidéo aiment le vice. Car le vice est l’une des deux jambes du football, l’autre étant la vertu. La force mythique de ce sport repose sur cette ambivalence. Toute sa dramaturgie en dépend. De même que la grandeur a besoin de la bassesse pour prendre sa pleine mesure, de même que le bien a besoin du mal pour se définir, la vertu a besoin du vice comme maître étalon.
Les jeux du cirque
L’intuition des anti-vidéo est simple. Elle s’appuie sur plus de cent ans d’Histoire. La dire, c’est presque dire une évidence : si les arbitres avaient disposé de la vidéo dès le début du 20ème siècle, la légende du football serait aujourd’hui bien plus faible qu’elle ne l’est. Oubliez la main de Dieu de Maradona. Terminé le retour de bâton karmique lorsque, quatre ans plus tard, Voller obtient un pénalty imaginaire en finale du mondial 90, laissant le génial argentin en pleurs dans le rond central. Fini l’éternel scandale autour de l’attentat de Schumacher sur Battiston. Effacé le but imaginaire de Geoff Hurst en finale de la coupe du monde 1966. Enterrée la main scandaleuse de Vata qui priva Marseille d’une finale de C1 en 1990.
Les puritains rétorqueront probablement que sans ces erreurs d’arbitrage, le meilleur aurait gagné. Que le « sport » en serait ressorti grandi et que l’innocence de nos enfants aurait été préservée. Mais les anti-vidéo ne se laissent pas attendrir par ce genre de discours politiquement correct. Ils savent que l’héroïsme naît de grandes injustices. Ils savent que c’est dans l’adversité que les masques tombent et que le vrai visage d’une équipe se dévoile.
Prenons Chelsea pour exemple. Dès son arrivée à la tête du club, Abramovitch fait de la Ligue des Champions son objectif numéro un. Des sommes colossales sont immédiatement dépensées par le fantasque homme d’affaires pour offrir aux londoniens une dream team. Partant de là, l’équipe se construit une légitimité nationale, sans jamais réussir à gravir le dernier échelon européen. Abramovitch ne relâche pourtant pas son effort mais rien n’y fait. Les millions ne suffisent pas. C’est alors que les Blues sont victime d’une injustice majeure. En demi-finale de la C1 2009, les compagnons de Lampard se font littéralement voler la qualification pour la finale suite à deux pénaltys non sifflés par l’arbitre. À la fin du match, Iniesta plante un but d’extra-terrestre et élimine les londoniens. Drogba perd alors les pédales et se met à hurler face caméra : « It’s a disgrace ! It’s a disgrace ! It’s a fucking disgrace ! ». Suite à cette défaite cuisante, Chelsea, qui était une équipe suffisante, devient une équipe assiégée. La vengeance est un plat qui se mange froid et le groupe va prendre son temps pour la préparer. Il faut attendre 2012 pour que les Blues arrachent la C1 à la surprise générale. Les bookmakers ne pariaient pourtant pas un centime sur le dernier tour de piste des vieux briscards de Londres. Cette victoire, c’est l’histoire d’une épopée. C’est l’histoire d’une immense bataille menée par des guerriers prêts à crever sur le terrain pour l’emporter. C’est l’inverse du football total proposé par les Barcelonais et les Munichois. C’est les besogneux contre les artistes. De la grinta pure et dure déployée par onze hommes qui savent que seule une défense héroïque peut les faire triompher.
Chelsea aurait-il gagné la ligue des champions si l’arbitre avait sifflé les fameux pénaltys en 2009 ? Peut-être. Mais leur victoire aurait-elle été si glorieuse ? Certainement pas.
La passion contre la politique
Si l’on aime le foot par-dessus tout, c’est parce qu’il s’agit de loin du sport le plus passionnant. Par passion, il faut comprendre « une émotion très forte qui va à l’encontre de la raison« . Celle des supporters de football a de multiples visages. C’est tout à la fois le plaisir de se perdre dans le collectif, le bonheur de laisser ses tracas personnels de côté le temps d’un match, la jouissance énorme d’aller au stade et de chanter avec tous les supporters. C’est l’émotion de pouvoir rire et pleurer dans la même minute.
Or, la passion est un sentiment profondément humain. Car se laisser envahir par elle, c’est s’exposer, perdre le contrôle, se donner à l’autre, accepter d’être vulnérable et puissant en même temps. L’assistance vidéo ne rend pas service aux arbitres, comme le prétendent les pro-vidéo. En leur offrant l’infaillibilité, elle les prive d’être des gens comme nous, supporters, à savoir des personnes capables de prendre une décision brillante à un moment donné, avant de se planter lamentablement dix secondes plus tard. Ce que prônent les apôtres de la vidéo, c’est le devenir-machine des arbitres. Les machines ne se trompent pas. Elles sont programmées pour fonctionner selon un processus précis. Les arbitres, eux, se trompent. Et c’est tant mieux. Instaurer l’arbitrage vidéo équivaut à retirer de l’humain au football, et lui retirer de l’humain revient à lui soustraire de la passion. C’est mathématique.
Malheureusement pour les anti-vidéo, l’Histoire est en marche. Bientôt le débat sera clos L’arbitrage vidéo sera devenu la norme. Les injustices auront disparu, et avec elles les héros capables de les surmonter. On se souviendra d’un temps que les moins de vingt ans ne pourront pas connaître. D’un temps où le football était le plus beau des miroirs sociologiques. Malgré cela, nous continuerons certainement à vivre notre passion pour le ballon rond, mais avec un peu moins d’intensité, moins d’émotion et moins d’amour. Car il sera un peu moins football.
Par Arthur Goisset
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