A lire la presse italienne, on croirait que Montella a confié les clés du jeu de sa violette à un mélange de Zidane, Xavi et Pirlo. Mais non, c’est bien le petit chauve tout maigre qui jouait à Majorque. Borja Valero, 28 ans, acheté huit millions d’euros à un sous-marin en détresse et tout le football du monde dans les yeux. Depuis maintenant un an, l’Italie ronronne à chaque caresse de son espagnol, qu’elle a surnommé « le touriste ». Ou quand une simple visite se transforme en révolution esthétique…
Pirlo Valero
En football, en économie, en art, en industrie, en politique, notre époque de crise est marquée par un même prisme d’analyse des évènements : le rapport entre la manière et le résultat. Il y a ceux qui ne vivent plus que pour le « pourquoi », la cause froide, la raison, et les autres qui restent attachés au « comment », à l’art de vivre, aux façons de faire les choses. Depuis maintenant un an, voir jouer Borja Valero sous la maillot de la Fiorentina pousse à s’arrêter, à prendre le temps d’admirer le « comment », à suspendre le temps. Il a le même pouvoir que la mer et la montagne : il donne le sentiment que la beauté viendra à bout de tout. Qu’elle « sauvera le monde », comme l’écrivait Dostoïevski. La Gazzetta dello Sport en convient volontiers : « peu d’équipes ont une telle qualité au milieu de terrain, c’est-à-dire un joueur total comme Borja Valero qui illumine tout ce qui l’entoure ». Le public aussi bien que ses coéquipiers.
La Gazzetta, toujours, dans un paragraphe titré Pirlo Valero : « La Fiorentina est un spectacle de vitesse et d’harmonie, de bons pieds et d’accélérations imprévues. Littéralement, une équipe. L’espagnol est au-dessus de tous les autres, comme Pirlo pour la Juve, mais vingt mètres devant : on dirait presque un fantôme par la façon avec laquelle il disparaît d’un côté et réapparaît au côté opposé, toujours avant les autres, liant les rôles et les lignes, lançant Rossi, Gomez et Aquilani. Pour comprendre où il est, on aurait besoin de la technologie de la ligne de but ». Un Pirlo sans la barbe et les cheveux soyeux. Ainsi, chauve, maigre, peu charismatique, timide même, Borja Valero se met en retrait derrière le ballon, à l’image d’un Iniesta dont on ne finit que par voir les pieds. Tout est dans le geste, la façon de jouer. La forme. Borja Valero nous invite tous les weekends à un football qui danse, chante, joue une mélodie. Avec le ballon, le madrilène prend des airs de pianiste, alternant sur son clavier les phases de violence dramatique et de douceur paternelle.
Redondo comme idole, Guti comme modèle
Né d’un père ouvrier et d’une mère cuisinière, Borja grandit paisiblement dans la banlieue de Madrid, un ballon aux pieds et le Real dans la tête. Mais après une dizaine d’années passées dans la Fabrica, Borja quitte la Maison Blanche sans rancune, comme un jeune homme fou amoureux d’une femme qu’il n’aurait jamais pu séduire. Déçu, évidemment. Mais déjà heureux d’avoir fait un bout de chemin à ses côtés, même de loin. C’est à dire deux matchs avec l’équipe pro sous Capello en 2006-2007. Puis, Majorque lui confie ses clés. Quelques extérieurs brossés plus tard, West Bromwich Albion se laisse tenter et débourse sept millions d’euros pour avoir son propre milieu espagnol. Valero est tenté : c’est l’opportunité de jouer dans un championnat médiatisé et de devenir autre chose qu’un milieu espagnol de plus. Le bilan est mitigé. Des médias, il y en a. Du football, beaucoup moins.
« Comme championnat, en termes d’ambiance, stades, préparation et organisation, l’Angleterre est largement au-dessus de tous les autres, mais pour ce qui est du football à proprement parler… C’est mythifié. On ne voit pas autant de football là-bas qu’en Espagne ou en Italie par exemple ». Car Borja aime la création, le jeu, l’élaboration d’une action. Le cœur blanc, il garde Redondo comme idole et Guti comme modèle. « Redondo n’avait même pas besoin de tout ce qui se fait aujourd’hui avec les doubles pivots ou triples pivots au milieu. Lui seul suffisait pour gérer le milieu de terrain. » Trente-quatre matchs et l’art du « tackle » dans les bagages, Borja Valero revient en Espagne à Villareal. Dans la banlieue de Valence, si Marcos Senna est le moteur du sous-marin, il en est le conducteur. Deux saisons, un titre Don Balon de meilleur joueur espagnol de Liga et une sélection avec la A. Une seule et unique. « Mon malheur est de jouer dans la meilleure période de l’histoire du football espagnol. »
« La boussole du jeu de la Viola »
En Italie, il y a la Juventus d’un côté et la Fiorentina à l’opposé. L’obsession de la victoire de la première, prête à comptabiliser dans son palmarès des titres qui n’existent plus. Et l’idéal esthétique de la seconde. Il y a le violet, couleur originale pour un club de football. Toute la Toscane dans le mélange du bleu de la mer et du rouge de la terre. Et puis la ville de Florence ! Bref, un club de romantiques, où Borja Valero fait chavirer les cœurs. Pour l’Espagnol, ce voyage était à la fois une logique et un défi. Logique, car Borja Valero arrive dans un projet de jeu façonné pour lui. Le plus souvent en 3-5-2 avec trois milieux de terrain intérieurs, des attaquants qui savent merveilleusement s’associer, des ailiers jouant très haut sur le terrain. Un défi aussi, car les espagnols ne réussissent jamais en Italie, pour des profondes différences de conception du jeu. Le résultat, c’est que le journal rose parle de « boussole du jeu de la Viola ». Et attribue un immense crédit du succès de la Fio à son espagnol : « Si la Viola a joué en 4312, il serait plus juste de parler de 43Valero2. Sans position fixe, l’espagnol traverse le troisième quart du terrain de gauche à droite, avec tant de légèreté qu’il ne semble jamais toucher le sol ».
Football espagnol et Renaissance
Borja Valero, c’est le football qui accorde une place au geste. Celui qui force la vie à ne pas se vivre sans la manière, sans le souci du « geste » quotidien. Un football typiquement latin. Le fait de prendre le temps. Le café chez le barista pour entamer la journée. Les discussions de football, de femmes et de banalités. Le fait de parler de banalités comme si c’étaient des choses d’une extrême importance, et de choses importantes comme si c’était des futilités. Borja Valero est ce football du « comment », le football espagnol. Celui qui se focalise sur la qualité des transmissions en sachant pertinemment que tu ne peux pas marquer avec des passes. Et qui se dit : « tant pis, je préfère quand même les passes ». Une obsession esthétique ? Une frustration née de décennies de cruelles défaites poussant tout un peuple à nier l’importance du résultat ?
Tandis que les Italiens s’entrainent à tirer et produisent des Di Natale, Inzaghi, Vieri, Rossi… Tandis que les Brésiliens se sont libérés de ce poids en prônant un football fêtard qui ne peut exister sans la célébration du but… En Espagne, c’est plus fort, plus violent dans le sens de la violence du drame. C’est même une question majeure de société. En Espagne, tu ne peux pas marquer sans jouer mieux que l’adversaire. Ce n’est pas que ce n’est pas correct moralement, la place de la morale est ici toute relative, mais cela ne doit pas arriver. Borja Valero, son palmarès vierge et ses passes, sont devenus aujourd’hui le symbole ultime de cette Espagne pré-2008, cette nation qui se battait avec des passes contre des tirs. Paradoxalement, ce même Borja fait rêver l’Italie des pointus et des pénaltys recherchés. Une révolution esthétique qui pousse ses premiers cris en Toscane, tiens donc…
Markus
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superbe article, je connaissais pas ce joueur !
Maintenant tu le connais trou du cul
A reblogué ceci sur LaBuvette and commented:
Artiste.
Oh merde quel superbe article ! Pertinent et bien écrit. Raconté comme ça le foot est presque plus plaisant à lire qu’à voir ou qu’à jouer.
L’anonyme mérite un coup pied dans ce qu’il a évoqué, pour sa vulgarité
Depuis le temps que je disais que ce joueur méritait un article …
Merci Markus
Merci d’avoir mis en lumière ce joueur de grande qualité.
Tu me fait le meme sur valeron et benat svp ?
superbe article pour un joueur qui l’est au moins tout autant !